Rencontre avec Alberto Alessi, directeur général d'ALESSI
Quels sont les designers qui vous ont personnellement le plus marqué ?
Ceux que je considère comme mes maîtres, qui m’ont suivi et conseillé depuis 1970 : dans l’ordre chronologique Ettore Sottsass, Richard Sapper, Achille Castiglioni, Alessandro Mendini, Enzo Mari, Aldo Rossi, Michael Graves, Philippe Starck, Stefano Giovannoni, Jasper Morrison.
A quel moment avez-vous eu envie d’appartenir à cette légende ? Dans votre enfance y a-t-il eu une phrase marquante de votre père ?
… je me rappelle plutôt de mon grand père Giovanni, le fondateur d’Alessi, qui au tout début de mon activité me disait : « … toi, tu aurais dû être notaire ».
On a lu dans la presse : « la marque Alessi ne se considère pas comme une industrie dans le monde de la déco mais comme un atelier de recherche dans le domaine des arts appliqués ». Qu’en pensez-vous ?
Ce sont les mots que j’emploie pour essayer d’expliquer la nature et la pratique profonde des fabriques du design italien : nous sommes des médiateurs entre les expressions les plus intéressantes du design produit international d’un côté et les rêves du public de l’autre…
Vous avez semble-il, fait plus confiance aux créateurs qu’aux hommes de marketing. C’est là la clé de votre réussite et ce qui a fait la griffe Alessi ?
Sans aucun doute.
Est-ce qu’il vous arrive de donner vos idées aux designers ?
L’œuvre du designer n’est pas isolée du contexte. Tout premièrement, bien sûr c’est un acte de création poétique et artistique, mais ensuite elle se place dans un « marché ». Donc notre travail est d’expliquer aux designers les aspects techniques et commerciaux de ce contexte, pour les aider à créer mais non pas pour nous substituer à eux dans l’acte de création : c’est ça « donner nos idées ».
Comment savez-vous qu’un nouveau produit séduira vos clients ?
Depuis 1992 nous avons la « Formula » ! Oui, la « Formula del successo » est un modèle mathématique que j’ai développé moi-même et qui s‘est révélé un outil très précieux qui nous permet de comprendre en amont quelle serait la vie d’un nouveau projet si nous décidons de le mettre en production.
Un leitmotiv dans vos créations : élégance et ironie. Pourquoi « ironie » ? Cultivez-vous l’art de la dérision ?
L’ironie, ou plutôt l’humour, est une donnée qui vient principalement des designers… Je la partage bien sûr, au fond « Alessi est un marchand de bonheur ! » (P. Starck).
Arts de la table, électroménager, joaillerie… le génie ALESSI va-t-il explorer d’autres univers ? Quels sont vos projets futurs ?
Tous les produits industriels ont le droit d’être mieux dessinés : j’en ai la force et je n’ai pas de limites quant aux domaines : à part le domaine des arts de la table, qui reste dans notre cœur le plus important, on a touché le textile, la salle de bain, l’ambiance cuisine, les téléphones, les montres, les instruments d’écriture, les carrelages, l’auto… pour le futur je vise les challenges ô combien difficiles de l’ameublement, du luminaire et de la mode : qui vivra verra !
Aujourd’hui vous avez inventé un nouvel art de cuisiner. Est-ce que vous cuisinez avec une belle collection ?
J’aime beaucoup cuisiner, je me relaxe dans cette activité (qui d’ailleurs n’a pas toujours les résultats espérés). J’utilise toutes mes casseroles, surtout celles en cuivre de la Cintura di Orione de Sapper, les Morrison et en ce moment les prototypes d’un nouveau projet de Naoto Fukasawa (pour 2010) pour lesquels nous sommes –lui et moi- en train de créer des recettes Italo-Japonaises.
Quel designer vous touche le plus ?
Au fond, tous les noms de mes maîtres sont mentionnés plus haut…
Votre intérieur, c’est comment ? Quel designer ? Vos goûts pour la déco, c’est quoi ?
Je suis sur le point de terminer ma nouvelle maison, créée avec Mendini. C’est un ancien complexe de ferme agricole avec une villa, que nous sommes en train de reconstruire. Il est placé dans le centre de mon domaine viticole sur le lac d’Orta, la vigne court tout autour, et englobe les établissements pour faire et vieillir mon vin. Il s’agit d’un projet basé sur la sérénité (ouf). Et sur l’ambigüité : l’extérieur est très sobre et l’intérieur assez marqué « mendiniennement », un grand monolocal avec au centre une énorme cuisine…
Quels livres lisez-vous ?
En ce moment plusieurs textes de Goethe sur la nature.
Vous adorez le vin. Parlez-nous de votre propriété.
J’ai toujours aimé l’idée de m’occuper de la vigne et du vin. En 1999, je suis tombé sur une occasion à ne pas rater : une ancienne ferme en ruines située sur les collines du lac, avec une vue sur l’île de San Giulio… On y produisait jadis du vin, mais tout avait disparu depuis un demi siècle. J’ai adopté l’approche biodynamique et j’ai travaillé pendant cinq ans à préparer la terre avec les conseils de Jacques Mell de Reims. En 2005 on a planté : Pinot noir et Chardonnay (désolé mes références sont bourguignonnes…) sur deux hectares, et je vais y joindre encore un hectare en 2010. Mes ambitions sont hautes : je veux produire le meilleur blanc italien. Je suis en train d’apprendre le métier de vigneron, et je l’aime follement. C’est dur, après une journée de bureau, mais ça me désaltère.
Quel vin mythique bordelais aimez-vous boire pour de grandes occasions ?
Parmi les très grands châteaux Margaux, parmi les autres châteaux Chasse-Spleen (ce dernier, je l’avoue, aussi à cause de son très beau nom !)
Connaissez-vous Bordeaux ? Quels souvenirs avez-vous de vos séjours ?
Assez peu : j’y suis venu la première fois en 1991 pour la première exposition Alessi au CAPC Musée d’Art Contemporain et pour faire une conférence, et une deuxième fois quelques années plus tard avec des amis pour visiter les châteaux…









